Peut-on se sortir seul d’un trouble alimentaire ?
“Moi, je vais m’en sortir seule”. J’ai pensé ça pendant longtemps lorsque je sombrais dans l’anorexie mentale : pendant 1 an à vrai dire. En fait, les premiers mois, j’allais voir une psychologue car je voyais bien que j’avais un problème. Mais je n’acceptai pas d’être “anorexique” justement, sans doute à cause de l’anosognosie dont je vous parle dans mon article sur la légitimité au traitement. Je ne lui parlais donc pas vraiment de mon trouble alimentaire. C’est vraiment lorsque j’ai appelé l’hôpital, au service TCA, pour prendre rendez-vous avec un médecin spécialisé que j’ai accepté de l’aide pour lutter contre l’anorexie mentale. Parce que j’ai réalisé que ce que je pensais “contrôler”, en réalité, je ne maîtrisais plus rien. J’ai enfin réalisé et accepté que non, je n’y arrivais pas seule. Et surtout, j’ai compris que demander de l’aide n’était pas un signe de faiblesse mais au contraire, une preuve de courage.
Mais qui serais-je pour vous affirmer que vous ne vous en sortirez pas si vous ne vous faites pas aider ? Le parcours de chacun est tellement différent. Mais, de par mon expérience et en tant que rescapée de l’anorexie, je pense que se faire aider est primordial pour assurer une guérison définitive des TCA.
Dans cet article, je vous donne 7 raisons pour lesquelles se sortir seul d’un trouble alimentaire est extrêmement compliqué (voire impossible).
1 - Votre trouble alimentaire vous manipule
Les troubles alimentaires sont des maladies vicieuses et puissantes qui manipulent l’entourage mais aussi vous-même. Si vous avez écouté mon premier épisode où je parle de mon histoire avec les troubles alimentaires, je vous explique que j’ai fait une première hospitalisation où j’acceptais avec facilité l’augmentation de ma ration de jour en jour. J’en étais moi-même impressionnée, et je me disais qu’en fait, ce n’était pas si difficile de guérir d’un trouble alimentaire. À la sortie, j’étais persuadé que j’étais en train de guérir. Mais le jour où je me suis retrouvée seule dans mon appartement, j’ai tout de suite rechuté. Les médecins, mes parents, mes proches pensaient que je les avais manipulés. Mais j’y croyais sincèrement à cette guérison. En fait, même à moi la petite voix m’a menti.
Votre trouble alimentaire prend tellement de terrain dans votre tête, que votre voix à vous, la voix de la raison, n’a plus sa place et vous ne parvenez même plus à l’entendre. De plus, c’est une maladie qui vous coupe de votre vie sociale, de vos amis, de votre famille. Parfois vous êtes obligé de quitter votre travail ou d’arrêter l’école par manque de force dû aux dommages de la maladie. Vous vous isolez avec votre trouble alimentaire et personne ne vous aide à vous apporter la voix de la raison.
Dans mon article où je réponds à votre peur de ne pas être assez malade, je vous explique que beaucoup de personnes souffrant de TCA souffrent d’anosognosie. C’est-à-dire que certaines zones de votre cerveau ne sont pas à leur capacité maximale et vous n’avez donc pas conscience de la gravité de votre maladie, voire du fait que vous êtes malade. Il est donc difficile de se battre contre quelque chose que l’on ignore…
Vous ne pouvez pas faire confiance à l’instinct de votre maladie car vous n’êtes plus maître à 100% de vos pensées, de vos envies, de vos actions. Vous avez comme un parasite, votre TCA, qui agit à votre place, vous faisant croire que c’est pour votre bien tandis qu’il détruit votre santé.
Votre trouble de la conduite alimentaire déforme la réalité et atténue votre perspicacité. C’est pour cette raison que vous ne vous sentez pas toujours légitime à demander une aide extérieure. Mais sachez donc que vous ne pouvez pas faire confiance à ce que vous dit votre trouble alimentaire. D’où l’importance d’une personne externe, familière aux TCA, qui saura vous dire lorsque votre comportement ou vos pensées émanent de votre trouble.
2 - Vous ne savez plus comment manger
C’est assez dingue à imaginer dans la mesure où manger est un besoin vital auquel on répond depuis que l’on est né, mais après des semaines, des mois voire des années de maladie, vous ne savez plus comment manger.
Moi je me souviens que je ne savais plus ce qu’était une assiette normale. Je ne savais plus si je me servais assez ou trop de tel ou tel aliment. Vous ne pouvez pas non plus faire confiance à vos signaux de faim et de satiété puisqu’ils ont été altérés lorsque vous ignoriez votre faim ou que vous compensez par de la restriction, de l’hyperactivité, des vomissements ou prises de laxatifs. Vos circuits cérébraux vous envoyant le signal de la faim ou de la satiété sont erronés. Il va falloir beaucoup de temps pour retrouver un fonctionnement “normal”.
Cela veut donc dire que vous allez devoir manger même lorsque vous n’avez pas faim, ou même lorsque vous avez mal au ventre. Si vous vous êtes restreints pendant une période, votre estomac s’est comme rétrécie. Votre fonction de digestion a été endommagée. Donc quand vous vous re-nourrissez, vous avez des sensations inconfortables au ventre. Vous pensez que vous avez trop mangé, cela peut vous faire culpabiliser mais c’est en fait une sensation complètement normale.
Vous ne pouvez pas non plus vous fiez aux assiettes des personnes avec qui vous mangez tout simplement parce que les besoins de chacun sont différents. Et vos proches n’ont pas de troubles alimentaires. Certaines personnes en guérison ont besoin d’au moins 3000 calories, même 4000-5000 pour réparer leur corps. Vous ne pouvez pas non plus vous fier au plan alimentaire d’autres personnes en guérison que vous voyez sur Instagram. Car même si cette personne souffre de la même maladie, elle n’a pas le même corps que vous, le même passé, la même génétique.
Enfin, par rapport à ce que je vous ai dit dans le premier point, votre TCA risque de vous dire que votre assiette est trop remplie, ou que vous avez assez mangé, ou que vous devriez compenser si vous avez mangé au restaurant la veille. Mais sachez que si certaines personnes (je veux dire ici sans trouble alimentaire) mangent moins, parce qu’elles ont moins faim après un repas plus “riche”, cela ne s’applique pas à vous qui êtes en guérison.
Seriez-vous capable de contrer votre trouble alimentaire ? Malheureusement non, et ce n’est pas que vous n’êtes pas assez fort, c’est juste que vous êtes malade. Ce n’est pas de votre faute.
3 - Votre TCA est une façon de vous protéger de vos blessures
Je le dis souvent, un trouble alimentaire n’a rien à voir avec le corps ou l’alimentation. Ça en choque certain d’ailleurs… Mais la nourriture, la perception du corps… ce ne sont que des conséquences à votre TCA. Les troubles alimentaires ne sont pas des “régimes” que vous pouvez arrêter du jour au lendemain.
Votre corps a développé un trouble alimentaire pour vous protéger de quelque chose, en réponse à des blessures profondes que vous avez. En fait, un TCA est un mécanisme de défense qui a d’ailleurs fonctionné pendant un moment : souvent au début, quand les effets néfastes ne sont pas encore apparus.
Au début, vous vivez une sorte de “lune de miel” où vous vous sentez puissant. Personnellement, je n’avais jamais eu autant confiance en moi de ma vie. Donc forcément, mon cerveau a associé la perte de poids et le contrôle (sur la nourriture et mon corps) avec quelque chose de positif.
Votre cerveau a ainsi créé une association entre votre trouble alimentaire et une sorte de sécurité. Donc quand vous êtes en guérison, vous luttez pour sortir des mécanismes de votre trouble alimentaire. Et votre cerveau vous freine car il a peur de sortir de sa zone de confort, il pense qu’il ne sera plus en sécurité. Lutter contre votre TCA, c’est lutter contre un mécanisme d’adaptation qui vous a aidé à survivre à un moment donné. C’est terriblement difficile, d’où l’importance de se faire accompagner par une personne qui saura vous aider à reprogrammer vos schémas de croyance.
Le simple fait d’avoir conscience que votre TCA est un mécanisme psychologique pour vous aider à faire face à des blessures ne fera pas disparaître vos problèmes psychologiques ancrés depuis des années. Cela demande un accompagnement régulier, sur le long terme.
4 - Votre peur de guérir est parfois trop intense
Une fois, un médecin m’a dit que si je ne guérissais pas, c’est parce que je ne voulais inconsciemment pas guérir, que j’avais peur de l’après, que j’avais peur de lâcher la maladie. J’ai eu du mal à accepter cela. Comment pouvais- je avoir peur de guérir alors que cette maladie me gâchait la vie ? Oui, mais en même temps, c’était tellement omniprésent dans ma vie depuis 3 ans… Qu’est-ce que j’allais devenir sans elle ? À quoi je penserai ? Guérir, c’est comme déraciner un vieil arbre. Les racines sont tellement profondes que le trou sera immense. Et comment combler ce trou ?
Évidemment que c’est terrifiant, et c’est complètement normal, il n’y a aucune honte à cela. Mais parfois, pour avancer vers cet inconnu, on a besoin que quelqu’un nous prenne par la main, pour nous aider à nous reconstruire.
5 - Les troubles alimentaires sont des maladies mentales complexes
Même si aujourd’hui on a accès à de nombreuses ressources nous expliquant ce que sont les troubles alimentaires, cela reste des maladies complexes où le fonctionnement diffère d’une personne à une autre. Il s’agit de votre santé, de votre vie. Vous n’en avez qu’une, alors prenez-en soin ♥
Il s’agit d’un phénomène quand même rare, mais qui peut arriver : le syndrome de réalimentation. J’ai été victime de ce syndrome, et heureusement que j’étais suivi médicalement car je ne serai peut être plus en vie aujourd’hui. En fait, j’étais tellement dénutri que mes intestins se sont arrêtés de fonctionner. Et moi je l’ignorais donc j’ai continué de manger. Et de ce fait, toute la nourriture que j’ingérais s’était bloquée. Je ne suis pas médecin, mais je pense qu’il existe énormément de types de syndrome de réalimentation. Mais ce que je veux dire, c’est que la renutrition ne doit pas se faire du jour au lendemain, ça doit être progressif. Cela m’a conduit aux urgences, puis en réanimation pendant 15 jours. J’ai ensuite été hospitalisée durant presque 3 mois où j’ai eu une ré-alimentation progressive, où j’avais des analyses médicales régulières afin de s’assurer que mon corps acceptait bien la renutrition.
D’ailleurs, autre conséquence de la réalimentation : notre corps crée des œdèmes. La plupart des cas, ils se situent au niveau des pieds et des jambes. Mais cela peut s’aggraver si ce n’est pas surveillé.
Les troubles alimentaires ont des conséquences neurologiques également importantes à prendre en compte pour mieux comprendre notre perception. Par exemple, vous ne percevez pas correctement votre corps. Vous vous voyez souvent plus gros que ce que vous n’êtes réellement, c’est le phénomène de dysmorphophobie. Un spécialiste saura vous expliquer cela.
Personnellement, lorsque j’étais dénutrie, je n’étais plus capable de réfléchir correctement, j’oubliais certains mots, je n’avais plus de force. J’étais épuisée et je n’avais pas l’énergie pour combattre mon trouble alimentaire. Même si l’hospitalisation était très difficile et que le fait de ne plus gérer moi-même mes repas était un véritable défi, je n’avais pas le choix. Et avec du recul, je sais que cela m’a permis de me décharger de la “responsabilité” de mon alimentation le temps que je reprenne des forces, que je retrouve la raison. Attention, je ne dis pas qu’il faut forcément passer par la case hôpital pour guérir. Simplement, pour moi, c’était une étape par laquelle je n’avais pas le choix de passer.
6 - Vos proches ne sont pas impartiaux
Bien que les proches ne peuvent pas vous faire guérir à votre place, ils ont un rôle important. Personnellement, je pense que leur rôle dans la guérison est surtout l’écoute, l’empathie, le soutien. C’est clairement très difficile d’être aux côtés d’une personne souffrant de troubles alimentaires car c’est une maladie complexe, pleine d’ambivalence. C’est d’autant plus difficile lorsque c’est son enfant ou son compagnon de vie.
Ma mère et ma sœur ont eu un rôle central dans ma guérison. Et sans elles, je m’en serai sortie mais certainement beaucoup plus difficilement. Cependant, l’aide des proches a ses limites. Déjà, tout le monde ne parvient pas à avoir une écoute empathique et bienveillante car le fait de vous voir souffrir les affecte trop. Certaines personnes préfèrent aussi ne pas s’impliquer dans votre guérison pour se protéger. Mais la plus grosse limite est que vos proches ne sont pas impartiaux. Et pour moi, c’est primordial d’avoir un appui extérieur impartial.
Parfois, ma mère me répétait des choses dans le but de m’aider mais cela m’horripilait, m’agaçait. Ma psychiatre ou les infirmières de l’hôpital m’apportaient le même conseil, et je l’acceptais et l’appliquais. Cela énervait un peu ma mère je pense mais je lui expliquais que si cela venait d’une personne neutre, qui plus est du corps médical, cela avait beaucoup plus d’impact sur moi. Autre point, vos proches ne sont pas formés aux mécanismes des troubles alimentaires. Et c’est complètement normal.
Mais de ce fait, ils ne sauront pas forcément répondre à vos questions ou n’adopteront pas forcément le bon comportement face à une compulsion alimentaire par exemple. Ainsi, ils peuvent vous donner malencontreusement des conseils complètement inappropriés.
7 - Notre société actuelle ne vous aide pas à guérir
Notre société actuelle, bien que cela évolue, est centrée autour des diktats de la diet culture. Cela complique vraiment le rétablissement des troubles alimentaires quand on entend à la télé, à la radio, sur les réseaux sociaux tous des messages autour de l’alimentation et du corps.
C’est assez dingue comme ce sont des paroles omniprésentes. Je le vois, à mon travail et même dans la bouche de mes proches : les gens parlent sans même se rendre compte de l’impact que tel repas aurait soi-disant sur leur poids. La société se base sur la croyance que tout est binaire : la nourriture est soit bonne ou mauvaise, soit healthy ou grasse, soit peu calorique ou fast food.
Donc lorsque votre trouble alimentaire vous dit que vous ne devez pas manger, vous allez trouver facilement un argument autour de vous qui confortera cela plutôt que le contredira : un ami qui saute un repas, une grande sœur qui fait un régime, un cousin qui a commencé un nouveau programme de sport intense, les pubs de la télé qui vous disent qu’il faut préparer le summer body… Bref, vous voyez de quoi je parle !
De plus, malheureusement, la société est également mal éduquée sur les TCA. Beaucoup ne perçoivent pas lorsqu’une personne souffre d’un trouble alimentaire et vont féliciter une perte de poids par exemple. Pire, certaines personnes pourraient vous demander conseil pour savoir comment maigrir ou résister devant des gourmandises… (ça m’est arrivé) : la pire chose à demander quoi.
Nous sommes tous humains et nous avons besoin de soutien. Je vous ai demandé sur Instagram les raisons pour lesquelles vous ne consultiez pas quelqu’un. Dans cet article, j’ai répondu à certaines de vos réponses. Mais la dimension financière et la difficulté de trouver le bon psy sont souvent revenus :
- Concernant le côté financier, il vous est possible de demander d’être en ALD (affection à longue durée). Ainsi, lorsque vous consultez un médecin ou un psychiatre dans le cadre de votre TCA, cela sera pris en charge à 100%. En revanche, pour tout ce qui est médecine douce (dont les psychologues) en effet, ce n’est pas encore assez pris en charge en France… Mais il est possible de consulter gratuitement dans des CMP (Centre Médico-Psychologique). Je vous conseille cependant de rechercher des thérapeutes spécialisés dans les troubles alimentaires.
- Pour ce qui est de trouver la bonne personne : en effet, cela ne se fait pas toujours du premier coup. Mais c’est pourquoi il faut persister. Je n’ai clairement pas trouvé le bon praticien du premier coup. Mais j’ai tenté avec d’autres et j’ai trouvé plusieurs bons thérapeutes qui m’ont réellement aidé dans ma guérison.
Je terminerai cet article en appuyant sur le fait que, bien qu’une aide extérieure soit nécessaire, être acteur de sa guérison est primordial. Cela se fait de différentes façons. Je vous partage souvent des conseils sur mon compte Instagram ou aux travers mes podcasts, mais en voici certains exemples :
- Lire du contenu, écouter des podcasts, suivre des comptes Instagram qui vous expliquent les fonctionnements des TCA et vous partage des conseils
- Faire des exercices concrets : de relaxation, de restructuration de vos pensées, analyser vos émotions
- Instaurer un environnement positif : dire des mantras positifs, se créer un tableau de visualisation, s’entourer de personnes bienveillantes, faire des activités qui font sens pour vous
- La thérapie par l’art : Écrire vos ressentis, dessiner, colorier des mandalas…
Je pense que je ferai un article bientôt pour vous faire une liste des choses concrètes que j’ai mis en place et qui m’ont aidé 😉
En attendant, j’espère que cet article vous permettra de réfléchir à votre besoin de demander une aide extérieure. Je vous invite à partager votre expérience en commentaire ou à me faire part d’autres peurs que vous avez et qui vous empêchent de sauter le cap pour demander de l’aide.
Si vous avez d’autres tips de choses que vous avez mis en place seul, n’hésitez pas aussi à les partager !